Le 17 mai 2023, la loi « ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe » aura dix ans. Cela pourrait être un anniversaire joyeux mais pour beaucoup d’entre nous, ce qu’il s’est passé en 2013 garde parfois un goût amer. À cette occasion, Friction ouvre ses colonnes : car 10 ans après les défilés homophobes, c’est à nos récits d’être mis en avant.
Pour Tom Lecampion, 2013 restera comme la joie de l’adoption de la loi, de la pride qui a suivi… mais aussi pour sa première agression.
Mardi 23 avril 2013, vers 16h00, le prof de philo interrompt brièvement son cours pour annoncer le vote de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Au fond de moi, une joie intense éclate. Ma meilleure amie assise auprès de moi, me regarde et me sourit, elle m’embrasse, sans dire un mot, je pouvais lire en elle comme dans un livre. Monsieur C. décide de changer le programme de son cours afin que nous nous exprimions sur « cet événement historique ». Mes camarades de classe s’expriment les uns après les autres, avec plus ou moins d’enthousiasme. Tout le monde est d’accord pour saluer une avancée sociétale pour le pays. Les pensées se bousculent dans ma tête. Pour la première fois de ma vie, je me sens normal, comme tout le monde, moi aussi j’ai le droit d’aimer quelqu’un et de me marier.
Le mariage ne m’avait jamais vraiment intéressé. Je suis de cette génération née après les années Mitterrand, après la dépénalisation de l’homosexualité, après le PACS, de cette génération qui n’a jamais connu le monde sans le VIH. Je vivais dans une petite ville de province, extrêmement bourgeoise, je n’avais jamais souffert de l’homophobie, du moins, je ne m’étais jamais senti particulièrement en danger à cause de mon orientation sexuelle.
Quelques semaines plus tard, je prends le bus avec Alexandre, mon copain de l’époque pour me rendre à la Marche des fiertés de Caen. C’était ma première Pride et j’étais bien décidé à célébrer la nouvelle loi définitivement adopté après la lecture du Conseil constitutionnel. Le soleil brûle le pavé, la musique électro résonne dans les rues en pierre du centre-ville. Je tiens la main d’Alexandre et je l’embrasse sans craindre le regard des autres. Je me sens libre. Les autres participants nous sourient lorsque nos regards se croisent, des regards emplis de bienveillance et d’amour. J’avais tout juste dix-huit ans et je n’avais jamais vu une telle concentration de personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles ou transgenres. Dans mon lycée, on était seulement deux officiellement « outés », Alexandre et moi. Mais dans cette foule, nous étions un couple parmi tant d’autres.
À la fois enchantés et épuisés par notre journée, nous prenons le tram, puis le bus pour rentrer chez nous. Installés à l’arrière de l’appareil, Alexandre pose sa tête sur mon épaule et j’embrasse son front. Soudain, j’entends des ricanements quelques sièges devant nous. Un homme se lève, nous regarde et demande : « Vous êtes pédés ? » avec le même ricanement grinçant entendu plus tôt. Il ajoute « Vous aimez sucer des bites ? » en empoignant son entrejambe. Le sang me monte aux joues, mes mains commencent à trembler et sans même réfléchir, je lui réponds : « Pourquoi ça t’excite ? T’es intéressé ? » L’inconnu nous regarde, hébété, il ne dit mot. De mon côté, la rage me fait trembler de plus belle, je retiens de toutes mes forces les larmes, il est hors de question de manifester un signe de faiblesse devant mon agresseur. Pourtant, j’ai peur, je crains que l’altercation dégénère et qu’il s’en prenne à nous physiquement. Par chance, ses amis laissent éclater des rires bruyants, ils ne rient pas de nous mais de lui. L’un d’eux ajoutera : « Comment il t’a tué ! » avant de se tourner vers moi et de me dire : « Fais pas attention à lui c’est un abruti ». Puis une fille du groupe, qui me semble être sa copine, se lève à son tour et se met à lui gueuler dessus. Depuis mon siège je peux entendre « Putain, tu me saoules, tu me fous la honte ! » et elle se tourne vers nous et nous dit : « Je suis désolé pour lui, il est con, vous inquiétez pas. » Perdu dans mes pensées pour le reste du trajet, la scène se répétait en boucle dans ma tête. Je venais de vivre ma première agression homophobe. Je me sentais désormais vulnérable, l’insouciance avait laissé place la peur. Désormais, une simple manifestation d’affection envers une personne du même sexe pouvait me coûter une insulte, une agression voire pire… Le Mariage pour tous.tes ne m’a pas libéré, au contraire, il n’a fait que révélé que je ne serai jamais comme les autres. Je ne serai jamais libre de marcher dans la rue main dans la main avec la personne que j’aime sans craindre les insultes ou les coups. En trainant sur les réseaux sociaux, malgré moi je tombe sur un article du 20 Minutes intitulé : « Agression homophobe à Paris ». Une double photo illustre l’article : à gauche, celle d’un bel homme, à droite, celui d’un visage tuméfié et ensanglanté. Méconnaissable, il s’agit pourtant de la même personne. Horrifié par cette gueule cassée par l’homophobie, je ne peux m’empêcher de m’imaginer dans la peau de Wilfried, l’homme de la photo. Il a été agressé en plein Paris alors qu’il se tenait bras dessus bras dessous avec son compagnon Olivier. Je me dis alors : « Cette fois-ci c’était eux, la prochaine fois ça pourrait être nous ».
En ce qui me concerne, le Mariage pour tous.tes a été une désillusion. En autorisant le mariage aux couples de même sexe, on n’éradiquait pas le fléau de l’homophobie, on permettait juste un peu plus de droits aux personnes homosexuelles. Pendant près d’un an, les débats se sont enchaînés et déchainés sur les plateaux télés, à la radio, sur les réseaux sociaux, à l’Assemblée, dans la rue et même dans les repas de famille, encouragés par un président de la République qui ne paraissait plus assumer son programme politique. L’homophobie la plus crasse s’est déversée partout, et pas seulement celle de quelques groupuscules sectaires tels que Civitas. Tout le monde était désormais légitime à donner son avis sur nos vies, nos parcours et même nos identités. L’homosexuel (mais aussi toutes les minorités d’orientation sexuelle et de genre) était devenu l’antéchrist, symbole non seulement du déclin de tout un pays mais de l’humanité tout entière.
Finalement, le Mariage pour tous.tes m’a permis de rencontrer l’homophobie.
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